Retour sur la colloque eG4U Sicoval, à Labège (Toulouse)
Près d’une centaine de responsables d’aménagement des territoires, élus et agents en charge du numérique, fournisseurs d’équipements et services ont participé le 19 mars 2024 au colloque intitulé « Un numérique responsable pour des territoires plus durables ». Des échanges fructueux.
Colloque eG4U – Sicoval, 19 mars 2024_DR
Ce colloque était organisé au centre de congrès Diagora de Labège, par eG4U et le Sicoval, collectivité réunissant 36 communes du sud-est de Toulouse. La journée a été ouverte par Jacques Oberti, président du Sicoval et Victor Denouvion, président de Haute Garonne numérique.
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La mutualisation des ressources au sein des collectivités a été un des sujets clés : elle progresse pour des raisons économiques mais également en raison d’une prise de conscience de la nécessité de réduire les gaz à effet de serre.
Plusieurs témoignages ont convergé sur le fait qu’il est préférable de commencer par des projets réalistes, pas trop vastes, bien compris et bien soutenus par les élus et les administrés. Par exemple, des infrastructures de vidéo-protection ou d’éclairage public comme à Bordeaux Métropole.
Christophe Colinet, chargé de mission « métropole intelligente » (et membre d’eG4U) a expliqué que « l’interopérabilité était un facteur de souveraineté et de sobriété numérique pour les collectivités » ; selon lui, par expérience, il est possible et opportun de commencer par le pilotage d’infrastructures comme l’éclairage public. Un objectif clé consiste à rendre les équipements interopérables entre les diverses technologies présentes, ce qui permet ensuite d’utiliser l’infrastructure pour des services de voirie, de transport, de sécurité, etc.
Dans le contexte européen Eurocities (167 collectivités), il a été démontré qu’il était illusoire de vouloir tout normaliser. « Il faut construire, de façon réaliste, des plateformes d’interopérabilité avec un objectif déterminant : simplifier la démarche (ne pas construire des ‘usines à gaz’). Il est en effet crucial que les décideurs politiques, avec une approche citoyenne, s’y impliquent par conviction », a résumé Christophe Colinet.
Sobriété et réutilisation d’infrastructures
Au-delà du recyclage, beaucoup d’intervenants ont mentionné l’importance de la sobriété dans les achats et la consommation d’équipements. Il a été rappelé que 60 à 80% des émissions de CO2 d’un équipement, sur tout son cycle de vie, sont générées lors de sa fabrication et non lors de son utilisation. D’où le recours, chaque fois que possible, à des solutions non neuves, reconditionnées, etc. Les infrastructures câblées en coaxial sont tout à fait réutilisables pour la vidéo-protection, comme l’a expliqué Marc Namiash, dirigeant de la société Codage et président de Power EoC Alliance (Ethernet over coax). En coopération avec cette dernière, eG4U
a élaboré des préconisations adoptées par l’ETSI au niveau européen pour faire fonctionner des caméras vidéo de nouvelle génération (IP) sur d’anciens câblages coaxiaux, comme validé par la RATP dans le métro de Paris.
eG4U a également élaboré un ensemble de préconisations pour exploiter une infrastructure d’éclairage public en connectique CPL (courant porteur en ligne) afin de connecter des caméras vidéo, des bornes WiFi, de l’audio, des routeurs LPWAN, etc. afin, par exemple, de gérer une zone d’espace vert ou de stationnement, de compter des véhicules, ou de réguler la circulation. La possibilité de supporter, sur des luminaires, des émetteurs/ récepteurs 4G ou 5G a également été normalisée.
L’impact du numérique
Une question a été posée, ex-abrupto, par Angélica Calvet, secrétaire générale du Cinov Digital (syndicat des TPE/PME du Numérique) : les technologies de l’Information, si souvent vantées, peuvent-elles être à la fois éco-responsables et durables ? Sa réponse : « Telles quelles sont produites et utilisées aujourd’hui, la réponse est non ! ». Selon elle, les métaux nécessaires à la réalisation d’un ordinateur portable de 2 kg, nécessitent de traiter 800 kg de matières premières ; et la fabrication elle-même génère 124 kg de CO2 sur les 169 kg émis sur l’ensemble du cycle de vie de l’appareil (en ajoutant transport et distribution, utilisation et recyclage valorisé). Autrement dit, la consommation d’énergie par l’utilisateur ne représente qu’une petite part du bilan carbone total… D’où l’importance de conserver son ordinateur le plus longtemps possible.
Cette responsable syndicale a également évoqué deux paradoxes inhérents au développement du numérique : « Plus on dématérialise, plus on utilise de matières premières (pour les composants, les écrans…) ;plus on miniaturise et complexifie les composants, plus on accroit leur impact environnemental ». De fait, la production de composants complexes exige beaucoup d’énergie, des traitements chimiques et des métaux rares, comme le tantale (smartphone) et l’indium (écrans plats).
« Les fabricants des équipements sont en train d’épuiser ces minerais précieux à un rythme inégalé ». Et de citer l’Ademe : le nombre d’équipements serait supérieur de près de 65 % en 2030 par rapport à 2020, notamment avec l’essor des objets connectés. Entre 2020 et 2030, en France, l’empreinte carbone du numérique pourrait croitre de 45% pour atteindre 25 millions de tonnes de CO2 (ou équivalent). La consommation de métaux et minéraux (ou ressources abiotiques) augmenterait de 14 % et la consommation électrique de 5 % pour atteindre 54 tera-watts/h (TWh) par an). Et si rien n’est fait, ces chiffres pourraient tripler entre 2030 et 2050 ! ».
Dans l’intervention précédente, Gillo Malfrat, dg de la société d’études Mavana, avait décrit le paradoxe des effets indirects ou effets de rebond négatifs du numérique. Certains gains en atténuation du changement climatique peuvent être contrebalancés ou anéantis par la forte croissance de la demande de biens ou services due à l’utilisation de certains appareils ou biens numériques (cf. le véhicule électrique). Plus largement, le numérique conduit à des compromis entre plusieurs objectifs de développement durable – par exemple, l’augmentation des déchets électroniques, les impacts négatifs sur les marchés du travail et l’exacerbation de la fracture numérique existante.
En clair, le déploiement des technologies numériques doit être suivi de façon responsable : il ne contribue à la décarbonisation que s’il est correctement géré (avec un « degré de confiance élevé »). Ce qui renvoie aux interrogations du GIEC (« Mitigation of climate change »). A la demande de l’ADEME, une étude de Mavana va permettre d’y voir plus clair.
Des collectivités très motivées
Chef de projet numérique du syndicat mixte Haute Garonne Numérique, Alain Vincent a rappelé que les collectivités font face à des obligations légales et réglementaires en matière de numérique responsable, notamment les lois AGEC et REEN (avec décrets d’application parus). Depuis le 1er janvier 2023, toute collectivité de plus de 50.000 habitants doit avoir démarré un plan de travail pour mettre en place une stratégie numérique responsable au 1er janvier 2025. Un guide en 5 étapes a été publié par l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires).
En concurrence avec les départements de la Manche et de l’Yonne, la Haute-Garonne a été sélectionnée en juillet 2023 en binôme avec un de ses membres, très motivé, la Communauté de communes Coteaux Bellevue (non soumise à loi REEN), présidée par Sabine Geil-Gomez, fortement impliquée dans le développement durable. La première étape a consisté à créer un comité de lancement (8 participants) et à mener des entretiens de diagnostic avec les élus et différents services (finances, achat , RH communication…). Six volets du numérique responsables ont été traités : stratégie et gouvernance, achats, transformation de l’IT, recyclage (DEEE) et économie circulaire, sensibilisation. Deux ateliers de priorisation ont permis de déterminer douze leviers d’actions, dont l’inclusion numérique sur le territoire, le choix de personnes références pour la coordination de la démarche numérique responsable, des indicateurs de pilotage… « Aujourd’hui, ces collectivités sont déjà en mesure de privilégier des achats durables, réparables et éco-labellisés » ; d’optimiser la gestion du parc des équipements jusqu’au recyclage (en le confiant à un éco-organisme), de mutualiser les serveurs informatiques et les unités de stockage de données, tout en réduisant le volume en amont. Une charte des bonnes pratiques du numérique responsable a été rédigée et tous les collaborateurs ont été sensibilisés à ce plan d’actions, valorisé comme un levier de dynamisme.
« Le défi actuel est de maintenir cette dynamique, en affectant suffisamment de ressources et de moyens humains », observe Alain Vincent. « Pour garantir les résultats escomptés, il faut admettre ce qui ne marche pas. Il faut avoir des scénarios bis. Cela s’inscrit dans une démarche plus globale de transition écologique, une démarche longue, complexe, visant à une amélioration en continu ». Et ce responsable, lui aussi, recommande de « commencer par un projet pilote réaliste qui montre que c’est faisable ».